— Qui c’est qui veut des oranges ? Messieurs-dames, en passant, regardez mon cageot ! Regardez
comme elles sont belles mes oranges ! J’en ai un plein cageot ! Bonjour Madame... En passant... (en
aparté : elle regarderait même pas ! C’est quelqu’un ça ! ) Venez voir, j’ai des belles oranges !
Personne veut des oranges ? C’est quelqu’un ça alors ! Bonj... Bonjour Monsieur !
— Qu’est ce que vous faites là, vous ?
— Moi ? Je... Je vends des oranges.
— Je le vois bien, non ?
— Je suis l’employé. C’est le contremaître qui m’a employé depuis ce matin sept heures pour vendre
des oranges.
— Et moi, je suis le patron, moi.
— Oh, pardon ! ( petit rire gêné ) hi hi hi !
— Et vous en avez vendu beaucoup, de ces oranges ?
— Ben non, j’en ai pas encore vendu une ! C’est quelqu’un ça !
— Qu’est ce que vous faisiez, avant de vendre des oranges ?
— Je vendais du poisson.
— Et vous en vendiez beaucoup ?
— Heu... Non, je n’en ai jamais vendu ! Qui c’est qui c’est qui veut du poisson ? On me répondait :
« Vous ne savez pas où on peut acheter des oranges ? » C’est quelqu’un ça alors !
— Ça ne m’étonne pas que vous n’en vendiez pas.
— Pourquoi ?
— Comme ça... Vous avez une ardoise et une craie, c’est pour quoi faire ?
— C’est pour faire mes totaux ! Quelqu’un qui viendra, comme ça et qui me dirait d’une seul coup,
allez, paf : « Il m’en faut trois kilos. » Alors... (il compte, rapidement) Cent multiplié par trois, trois
fois zéro, je pose zéro, je retiens rien, trois fois zéro... Enfin.. Hi hi hi ! Je ferais mes totaux quoi !
Voilà !
—... !
— Voilà, voilà, voilà, voilà...
— Vous avez une ardoise et une craie, mon cher ami, servez-vous en pour faire de la publicité ! Le
commerce, c’est un métier. Ce n’est pas n’importe quelle personne qui peut faire du commerce.
Marquez quelque chose sur votre ardoise, de manière que, lorsque les client passent sur le trottoir, ils
se disent : « Tiens ? Qu’est ce qu’il y a d’écrit là-dessus ? » Ils approchent, et vous les accrochez pour
vendre votre marchandise.
— Ah, c’est vrai ! Hi hi hi ! C’est vrai.. J’y avais pas pensé de... d’écrire... C’est vrai !
— Je repasse dans dix minutes, hein.
— Au revoir M’sieu le patron ! C’est vrai... Une ardoise et une craie... Qu’est ce que je vais bien
pouvoir écrire là-dessus ? Heu... (il écrit en s’appliquant) Ici-on-vend-de-belles-o-ranges... (il relit
rapidement) Ici on vend de belles oranges... (il ajoute) pas chères. Voilàààà ! Qui c’est qui veut des
oranges ?
(le patron, de retour) —C’est vous qui avez pondu ça ?
— Oui M’sieu le patron. Hi hi hi!
— Bon, donnez moi ça... (il lit) « Ici on vend de belles oranges pas chères ». Mmm mmm... Vous avez
bien fait de marquer « ici », des fois qu’on pense que ce soit ailleurs... Vous ne voyez pas que c’est
inutile le mot « ici » ?
— C’est vrai, j’ai mis « ici »... (il crache sur l’ardoise) Ptfu ! j’efface « ici ».
— « On vend de belles oranges pas chères » Ils auront bien le temps de le voir, que c’est pas cher...
Pourquoi vous avez écrit « pas chères » ?
— C’est vrai ! Ptfou, ptfou ! J’efface « pas chères ».
— Donnez moi ça... « On vend de belles oranges » ... « on vend » vous aviez peut-être l’intention de les
donner ? Mmm ?
— Nan !
— Alors pourquoi vous avez marqué « on vend » ?
— C’est vrai, hi hi ! Dire « on vend » !? Ptfu, ptfu !
— « de belles oranges »... Quand on fait de la publicité, il faut en marquer le moins possible, de
manière que ça frappe d’avantage l’imagination. Qu’est ce que ça veut dire, ça, « de belles
oranges » ? Elles sont pourries vos oranges ?
— C’est vrai !
— Et ben, effacez « de belles » !
— C’est vrai, ptfu ! « de belles»...
— C’est des bananes, que vous vendez ?
— Nan, c’est des oranges.
— Alors, pourquoi y’a « oranges » ?
— C’est vrai, pourquoi y’a... Ptfu ! Bon, ben je vais allez revendre mon poisson ! Comme ça j’aurais pas
besoin de le marquer.
— Pourquoi ?
— Ça se sent !