Consommations officielles : une tromperie organisée
Le Point.fr - Publié le 27/06/2014 à 10:09 - Par YVES MAROSELLI
Irréaliste du point de vue de la consommation, le cycle d'homologation l'est aussi du point de vue des émissions polluantes. Explications.
Il en va de la pollution comme de la consommation. De même que vous consommez bien plus que les jolies promesses faites par le constructeur dans ses brochures, vous polluez plus que ce qu'annonce la norme sur la jolie étiquette multicolore apposée sur le pare-brise. C'est particulièrement vrai s'agissant des oxydes d'azote produits par les moteurs diesel, dont le niveau d'émission est très lié à ce que vous demandez à votre moteur. Et cela simplement parce que le cycle officiel NEDC (pour New European Driving Cycle) utilisé par les instances d'homologation européennes est très éloigné de notre réalité quotidienne. En quelque sorte, un faux qui s'apparenterait ailleurs à de la publicité mensongère s'il n'était officiel et certifié par les instances européennes.
Accélérations modestes, vitesse basse
La méthodologie adoptée par nos laboratoires de certification enfile comme des perles les aberrations. Ainsi, les niveaux d'accélération sont très modestes avec 26 secondes pour passer de 0 à 50 km/h par exemple là où une voiture ordinaire met moins de la moitié de ce temps pour passer de 0 à 100 km/h !). La vitesse moyenne observée durant le cycle de mesure est aussi très basse (33 km/h).
À cette allure, il faut 20 minutes pour parcourir les 11 kilomètres du cycle, une performance digne des débuts de l'automobile. En outre, ni la climatisation, ni les phares ne sont utilisés. Et si le moteur est froid lors du début du cycle, la température ambiante retenue pour le test est plutôt clémente, puisqu'elle doit être comprise en 20 et 30 °C.
Le problème est que la règle oriente la technique, les ingénieurs bons élèves s'appliquant à satisfaire aux normes qui seront contrôlées. Et peu importe pour la suite, c'est-à-dire la réalité vécue par les usagers au quotidien.
On ne touche pas au volant
La mesure est par exemple effectuée sur un banc à rouleaux. Celui-ci reproduit la résistance au roulement et la traînée aérodynamique mesurées préalablement lors d'une décélération en roue libre (coast down) pour chaque véhicule à homologuer. L'opérateur ne touche donc jamais au volant pendant le cycle, ce qui a incité les constructeurs à opter pour une direction à assistance électrique qui ne consomme de l'énergie que lorsque l'on s'en sert (et en l'occurrence pas pendant le cycle), contrairement aux systèmes hydrauliques constamment entraînés... et consommateurs d'énergie.
Les arrêts fréquents - 12 entre le départ et l'arrivée - ont de la même façon provoqué la généralisation progressive des systèmes Stop & Start. Enfin, les moments de changement de rapport sont imposés pour les boîtes à commande manuelle, et cela, quel que soit leur étagement. C'est notamment ce manque de pertinence qui explique que les boîtes robotisées et même de plus en plus souvent les automatiques à convertisseur hydraulique s'avèrent plus économes que les manuelles.
De 10 à 30 % de plus dans la réalité
Résultat, les consommations réelles constatées par les automobilistes dépassent couramment de 10 à 30 % les chiffres officiels. D'où la nécessité d'un nouveau cycle d'homologation, qui serait à la fois plus proche de l'utilisation réelle d'une voiture et, tant qu'à faire, unifié pour le monde entier pour éviter aux constructeurs d'avoir à optimiser leurs modèles pour chaque marché. Mais la tâche est ardue, les styles de conduite étant très différents selon les continents, globalement très lent en Asie, plus rapide en Europe et en Amérique.
Futur cycle WLTC
Piloté par l'ONU à Genève, un groupe de travail a néanmoins déterminé un nouveau cycle WLTC (pour Worldwide harmonized Light duty driving Test Cycle). Plus long (23 kilomètres), il présente des accélérations plus fortes et une vitesse moyenne plus élevée (environ 46 km/h) que l'actuel NEDC. Le premier objectif est d'élargir le spectre d'utilisation du moteur (charge, régime) pour le rendre plus réaliste. Dans la même optique, ce ne serait plus la version la plus légère, mais la plus lourde du modèle qui serait mesurée.
Les changements de rapports seraient déterminés par le régime du moteur et non plus fixés pour une vitesse du véhicule. En outre, afin que les constructeurs ne soient plus incités à spécialiser le fonctionnement de leurs mécaniques et de leurs systèmes de dépollution, des mesures "hors cycle", c'est-à-dire en roulage réel, seraient aussi effectuées pour s'assurer que consommation et émissions polluantes réelles ne divergent pas excessivement par rapport aux chiffres "officiels". Ce dernier point est capital pour que les futures normes débouchent sur une réelle amélioration de la qualité de l'air.
Lobbying intense des constructeurs
Mais les conséquences d'un tel changement sont énormes pour l'industrie automobile. D'abord parce qu'il va directement déterminer les options techniques choisies pour le développement des futurs moteurs et de leurs systèmes de dépollution. Mais aussi parce qu'il va faire évoluer à la hausse les émissions de CO2 actuelles... qui sont fausses. Hélas, le législateur européen a planché sur cette base et fixé même des pénalités nouvelles dès 2015 pour ceux qui dépasseront les objectifs fixés par l'Union européenne.
Ceux-ci convergent vers une valeur de 95 g/km à l'horizon 2020. D'où un lobbying intense des constructeurs pour obtenir des aménagements ou des reports d'application de ce nouveau cycle qui va faire vieillir les voitures actuelles. Sans même parler des vieux diesels très polluants que l'on devrait inciter à envoyer à la casse (voir notre article). Et leurs arguments sont d'autant plus audibles dans le contexte de crise économique qui frappe particulièrement durement l'industrie automobile. Jusqu'à nouvel ordre, l'entrée en vigueur du cycle WLTC est prévue pour 2017.